Impossible de ne pas penser à la sorcière de Picsou en lisant le surnom de l’artiste.
Heureuse coïncidence ou calcul de l’artiste ? Dans ce cas de figure, la deuxième option
fait office de vérité.
Quand Radhia de Ruiter saisit une bombe de peinture, la jolie brunette s’efface au profit
de Miss.Tic, la figure de proue du street art français.
Depuis 1985, la sorcière mutine orne les murs de Paris de ses pochoirs ambigus. Et
depuis 1985, les propriétaires de ces bâtisses lui mènent une lutte acharnée. Culture
underground, arrestations par la police, condamnation… Jusqu’à présent, rien n’a pu
empêcher l’esprit libre de s’adonner à son art.
Amoureuses des 11 e , 13 e et 21 e arrondissement, l’artiste prend un malin plaisir à jouer à
cache-cache avec les forces de l’ordre. Peut-être serez-vous suffisamment chanceux
pour tomber sur l’un de ses pochoirs avant que les autorités ne l’effacent…
Une enfance en 50 nuances de gris
Le 20 février 1956, Radhia de Ruiter pousse son premier cri. Dans la Ville Lumière, les
parents du beau bébé ne pourraient être plus heureux.
Son père, un Tunisien expatrié en France, se délectera de chaque moment passé en la
compagnie de l’adorable petite fille. Travailleur sans relâche, les longues journées
passées à l’usine ou à soulever des caisses au fort des halles s’adoucissent à la vue de la
petite Radhia.
Sa mère, quant à elle, se consacre entièrement à sa petite famille. Paysanne éclairée,
elle virevolte entre les chaudrons noircis par le charbon et les livres écrits par d’illustres
artistes contemporains.
Quand Radhia a huit ans, sa famille décide de quitter la Butte Montmartre pour
s’installer à la Cité des Aviateurs à Orly. Malheureusement, Dame Fortune cesse de
veiller sur le foyer… En 1966, la famille est au centre d’un drame : la grand-mère, la mère
et le frère de Radhia perdent la vie au cours d’un accident de voiture.
Pour la fillette de 10 ans, cet événement sera traumatisant. C’est comme si le monde lui
tombait sur la tête… Essayez d’imaginer si à cet âge, vous perdiez vos repères sans crier
gare… Aujourd’hui adulte, Radhia de Ruiter ne peut s’empêcher de penser que ce drame
a fait d’elle une "gauchère obligée".
Malheureusement, ses mésaventures ne s’arrêtent pas là. C’est comme si le destin
s’acharnait sur la fillette aux longs cheveux bruns… En 1972, son père fait une crise
cardiaque qui lui sera fatale. Alors qu’elle n’a que 16 ans, Radhia de Ruiter a perdu tous
les membres de sa famille nucléaire.
Cette perte marquera son départ pour Saint-Germain-des-Prés où sa vie prendra un
nouveau départ.
Une adolescente avec des rêves pleins la tête
Arrivée à Saint-Germain-Des-Prés, Radhia de Ruiter se prend d’affection pour le théâtre.
Pendant ses études secondaires, elle étudie les arts appliqués tels que la maquette et la photogravure.
Seulement voilà… Radhia de Ruiter a l’impression qu’il lui manque quelque chose.
Une fois son bac en poche, elle s’envole pour la Californie (États-Unis) dans l’espoir de combler ce vide qui la dévore.
Entre les planches de surf et les bars bobos de l’État ensoleillé, Radhia de Ruiter
tombera folle amoureuse du graffiti. Cet art subversif, un peu insolent et qui ne se plie à
aucunes règles deviendra son âme sœur.
Après deux ans passés au pays de l’oncle Sam, Radhia de Ruiter rentre en France. À peine
arrivée, elle fera la rencontre d’un beau jeune homme avec lequel elle se voyait finir ses
jours. Eh oui, malgré son air un peu sauvage, la jeune Radhia est une romantique
inconditionnelle.
Malheureusement, la relation prendra fin, la laissant dans un désarroi total. C’est alors
que son regard se posa sur une bombe aérosol…
L’art me ment par Miss.Tic
Attention, voilà Miss.Tic
Quel meilleur moyen d’exprimer toute cette souffrance qu’avec des graffitis ? Pour
Radhia de Ruiter, la déception s’est muée en une force créatrice. Seulement, avant de
recouvrir les murs de Paris de ses états d’âme, elle doit se trouver un surnom.
Amoureuse de la féminité, elle recherche une femme intelligente et qui ne craint pas
d’être complimentée pour sa beauté… Révolutionnaire, elle veut un nom qui titillera
l’esprit…
C’est à cet instant qu’elle pense à Miss Tick, la sorcière Italienne qui en a après le sou
fétiche de Picsou. Ses longs cils recourbés, ses hanches bien dessinées et sa démarche
chaloupée sont une ode à la féminité. Pour autant, Miss Tick est loin d’être une belle
plante… Ambitieuse, cette demoiselle intelligente est capable d’élaborer des plans
terriblement efficaces.
Inspirée par le personnage, Radhia de Ruiter décide de retirer le "k" de Tick pour s’en
différencier. Miss.Tic était née !
En 1985, Miss Tic raconte sa vie sur les murs des quartiers de Ménilmontant,
Montmartre, le Marais, Montorgueil et la Butte-aux-Cailles. Désirs, ruptures,
fantasmes… L’impétueuse brune se met à nu (au sens figuré) pour interpeller les
passants. Très loin des clichés de la femme marchandise, elle dépeint des créatures
voluptueuses, bien décidées à prendre leurs vies en main.
En 1986, Miss.Tic réalise sa première exposition personnelle dans la librairie Épigramme
à Paris. Trois ans après, elle affichera ses créations à la galerie Couleur (Paris) sous le
thème "Fragments et Multiples". La même année, elle attirera le regard du Fonds
municipal d'art contemporain de la Ville de Paris qui lui passera une commande
publique.
Pour Miss.Tic, l’avenir s’annonce radieux. Pendant presque dix ans, elle continue
d’exprimer son art sur les murs parisiens tout en enchaînant les expositions
personnelles. Miss.Tic (galerie Christophe, Paris), Miss.Tic (galerie Sanguine, Paris), Tout
achever sauf le désir (EPITA, Paris, 1994), Je ferai les trottoirs de l'histoire de l'art (FIAP, Paris,1995), L’art me ment (galerie Sacha Tarasoff, Paris) rencontrent systématiquement le
succès.
Cependant, tapie dans l’ombre, une menace la guette…
La résurrection du phénix
En 1997, Miss.Tic est arrêtée pour détérioration de biens par signes, dessins ou
inscriptions. Au terme d’un procès de trois ans, l’artiste est reconnue coupable et est
tenue de s’acquitter d’une amende de 4 500 €.
Heureusement pour Miss.Tic, le début des années 2000 marque la reconnaissance de
l’art urbain. Pour la femme éprise de liberté, c’est l’occasion de s’extirper d’une
marginalité alors asphyxiante.
Petit à petit, les médias commencent à la reconnaître comme le génie artistique qu’elle a
toujours été. En 2005, le Victoria and Albert Museum de Londres l’insère dans leur
collection d’artistes incontournables.
Je n’avoue pas, je me déclare. Oui, je me suis fait un nom, MISS TIC. Une nuit au pied du mur, j’ai refusé les yeux ouverts ce que d’autres acceptent les yeux fermés.
En 2007, le Ministère du Logement et la ville de Lyon lui demande de donner une
âme au mur d’une résidence universitaire. Et si vous avez déjà pris la ligne de Tramway
n°5 de Montpellier, vous êtes sûrement resté bouche bée devant les créations qu’elle a
accomplies pour le Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée en 2013.
Séduites par son image de sorcière mutine et son côté bad girl, des marques
commencent à s’associer à elles. Loueur automobile, professionnels de la papeterie,
couturiers… La patte de Miss.Tic est omniprésente dans le paysage public.
Des galeries de renom demandent à présenter ses œuvres. Des expositions
prestigieuses telles que le Bridge Art art fair (Miami) l’invitent en tant que convive
d’honneur. En 2010, quand la Poste décide de rendre hommage aux femmes pour le 08
mars, les pochoirs de Miss.Tic sont repris sur des timbres.
Avec plus de 43 expositions personnelles, une dizaine de foires d’art contemporain et
presque autant de publications, Miss.Tic est une figure de proue du street art français.
Même sans le savoir, vous avez sûrement déjà contemplé l’une de ses œuvres.
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